Grand entretien Formule 1 avec Jean-Louis Moncet d’Auto Plus et RTL

Journaliste en presse écrite, commentateur des Grands Prix en direct sur TF1 de 1990 à 2012, puis consultant sur Canal+, Jean-Louis Moncet continue de nous faire vivre la Formule 1 sur Auto Plus et RTL. Avec style, avec une passion proportionnelle à son immersion dans le paddock. Avec sincérité et avec son expertise encyclopédique. Bienveillant quand il le faut, et parfois sans concession.

Jean-Louis Moncet est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Ferrari – 70 ans de course automobile » qu’il signe avec Johnny Rives, un hors-série spécial Sport Auto autour de la marque au cheval cabré et de son engagement en compétition. D’Enzo Ferrari hier à Esteban Ocon aujourd’hui, en passant par Michael Schumacher, Alain Prost, Ron Dennis ou encore Bernie Ecclestone, il les connaît tous. Les « guerriers comme les artistes ». Les pilotes comme les patrons d’équipe. Sans oublier « son frangin » Jean Alesi et « son mentor » Johnny Rives.

Les hommes avant les machines, la théorie d’Enzo Ferrari des points intermédiaires qui fait prévaloir la régularité des points inscrits tout au long d’un championnat, l’importance de l’Histoire du sport, Jean-Louis Moncet reste fidèle à des principes qui sont des constantes structurelles faisant la beauté et la noblesse de la F1. Et si l’on essayait de faire le portrait de Jean Louis Moncet en une phrase ou en un fait, celui-ci pourrait être son intervention énoncée à l’arrivée du Grand Prix de Bahreïn 2010. Fernando Alonso vient alors de s’imposer devant Felipe Massa. « C’est le 80ème doublé Ferrari de l’histoire » annonce-t-il aux commentaires : la force de l’Histoire de la F1, la Scuderia, la précision, la mise en perspective et le sens du détail. C’est le style Moncet.

Pour évoquer son actualité, sa relation au sport automobile, et les tendances de la saison 2017 de Formule 1, Sportsmarketing.fr a rencontré Jean-Louis Moncet pour un grand entretien.

Jean-Louis Moncet (Crédit Photo : Fred Bukajlo / Sipa Press pour RTL)
Jean-Louis Moncet (Crédit Photo : Fred Bukajlo / Sipa Press pour RTL)

Bruno Cammalleri : Peut-on évoquer votre relation au sport automobile et à la F1 ? Comment pourriez-vous caractériser cette relation et comment s’est-elle construite tout au long de votre carrière, en particulier lors de vos débuts dans le journalisme ?

Jean-Louis Moncet : Il y a d’abord une racine familiale. On a toujours aimé l’automobile dans notre famille. La famille Moncet vient de l’Aveyron, et dans les familles de l’époque, familles nombreuses, on avait tendance à s’éparpiller. Une partie de la famille est partie au Mans, et les 24 Heures du Mans j’ai fini par les connaître par coeur. Il faut dire que quand j’étais petit, je ne collectionnais que des voitures de course. Plus tard, mon père a eu des garages à Nice, et cette ville était un passage important du Tour de France automobile. Ensuite, j’ai continué mes études à Paris dans les lettres et le journalisme. J’ai commencé le journalisme en 1968. Il faut se souvenir du contexte et des manifestations : les jeunes, qui étaient très bien vus en 1966, n’étaient plus du tout en odeur de sainteté deux ans après. C’était donc très compliqué de trouver du boulot. Encore plus dans le journalisme où il n’y avait ni données, ni sites comme aujourd’hui.

J’ai commencé par faire les faits divers pour France Soir. Fin 1970, j’ai eu l’occasion de rencontrer le patron de Sport Auto, Gérard Crombac, et six mois plus tard je reçois un coup de téléphone de sa part pour être rédacteur en chef adjoint de Sport Auto. ‘Jabby’ (surnom de Gérard Crombac) était un vrai personnage : il utilisait beaucoup d’anglicismes, il avait ses amis et ses ennemis. Du coté du Groupe Hersant, qui détenait le journal Sport Auto, on disait que l’on ne pouvait plus faire des journaux de cette façon. Il y avait certes les grands reporters, mais il fallait aussi faire la ‘cuisine’ et moi je faisais ‘la cuisine’ de Gérard Crombac. Je mettais ses papiers en langue plus appropriée, moins de termes britanniques, moins de technique et un peu plus d’humain. Un jour de 1973 j’ai commencé à faire la Formule 2, le championnat du monde des rallyes (qui s’appelait le championnat international des marques). J’avais des copains en Formule 2 : Patrick Depailler, Jacques Laffite, Jean-Pierre Jabouille, champion d’Europe de Formule 2 en 1976, René Arnoux champion en 1977. En F3 il y avait Alain Prost et René Arnoux. Chacun d’entre eux allaient rejoindre la F1, je les ai donc suivis et j’ai pris mon envol par le biais d’une émission TV qui s’appelait Chrono sur Télé Monte Carlo. Entre temps, en 1975, dans le cadre du championnat du monde des rallyes je couvre le Safari Rally au Kenya, et c’est là que je fais la connaissance de Jacques Bonnecarrère qui venait de fonder Automoto. Il me dit avoir besoin d’un spécialiste « d’un gars qui connaisse les voitures, les pilotes et les boulons ». J’ai quitté Automoto momentanément pour faire Chrono, et en 1979 je suis parti de chez Chrono et je suis revenu travailler avec Jacques Bonnecarrère pour Automoto sur TF1. Il y a aussi eu L’Auto Journal, le grand frère de Sport Auto dans le Groupe Hersant, qui m’a engagé.

Plus tard, en 1990, Jean-Claude Dassier (alors directeur des sports de TF1) m’annonce que je vais commenter les Grands Prix en direct. Je succède à José Rosinski qui, en dehors d’être un grand journaliste et commentateur, était remarquable en tant qu’essayeur de voitures. Il reste inégalé à ce jour dans ce domaine. Une plume et un ressenti incroyable avec les voitures. Donc ce fut formidable de lui succéder et de commenter la F1 en direct à partir de 1990. J’étais aux commentaires avec Jean-Louis Bernadelli, puis bien sur avec mon mentor Johnny Rives. C’est lui qui m’a appris le reportage, le pilotage, les pilotes, l’aspect humain de la course. Autrement dit les hommes avant les machines !

Bruno Cammalleri : Si vous ne deviez retenir que deux moments de F1…

Jean-Louis Moncet : Tout d’abord Australie 1986 à Adelaïde, avec une position très difficile d’Alain Prost pour être champion du monde pour la deuxième fois. La veille de la course nous avons eu une discussion, et je lui ai dis : « Il va falloir que tu penses à ce que tu devras faire, à ta stratégie, aux positions de tes adversaires etc… » Alain Prost me répondit la chose suivante : « Tu te trompes complètement car la seule chose à laquelle je dois penser c’est la victoire ». Alain devait gagner le Grand Prix pour décrocher ce deuxième titre. C’était bien vrai et c’est ce qu’il est parvenu à faire.

Pourtant Alain a démarré la course par une crevaison. On s’inquiète alors chez Good Year (manufacturier pneus de l’époque) et on analyse les raisons de cette crevaison. Prost effectue sa remontée, ce qui était loin d’être une sinécure avec Senna, Piquet, Mansell, Rosberg. Le finlandais déchape à son tour. Stupéfaction chez Good Year, car les pneus ne tenait pas le coup ! Il fallait alors ramener tout le monde au stand, tandis que Prost avait suffisamment de marge avec ses pneus neufs. Ce qui n’était pas le cas de Piquet et Mansell. Le pilote anglais allait lui aussi être victime d’une crevaison, juste avant de rentrer aux stands. Prost gagne la course devant Piquet et remporte sa deuxième couronne mondiale ! Un scénario plus que marquant donc. Cette finale, de part son scénario, reste parmi les 10 plus beaux Grands Prix de l’Histoire de la Formule 1. Prost avait fait son boulot pour gagner, en se disant « je roule pour gagner ». A la Prost, sans aucune faute.

L’autre moment inoubliable de F1 c’est bien sur Imola 1994 : tout avait commencé le vendredi 29 avril 1994 avec l’accident de Rubens Barrichello. On avait signé ce jour là un contrat exclusif à TF1, grâce à Renault d’ailleurs, pour que Senna nous donne son commentaire du tour embarqué. On avait fait une bêtise au premier Grand Prix de la saison car on a donné à TV Globo le tour embarqué de Senna. Et là, colère de Senna qui tenait à ce que cela reste exclusif pour nous « sinon j’arrête » nous prévient-il. C’est là qu’arrive le célèbre message « Alain, my dear friend, I miss you »…  Bien sur on ne mettait pas un magnéto dans la voiture de Senna ! On était branché chez Williams pour la radio. Je m’occupais de ce tour là et je devais remettre sur ce tour des sons appropriés. Des sons d’un tour de Senna. Un vrai tour ! Le monteur de la séquence, Antoine Gerhard, me fit part du message de Senna en se demandant s’il fallait le garder ou pas. Évidemment qu’il fallait garder ça et on l’a bien gardé ! Le producteur Gilles Pernet est ensuite allé voir Senna pour l’interroger sur ce fameux message. Réponse de l’intéressé : « Non ce n’est pas mon genre de blague ». Et pour cause, Senna ne faisait pas beaucoup de blague. Il souriait, riait, aimait la plaisanterie, mais ça non. Le samedi 30 avril Ratzenberger se tue. Et Senna se tue le dimanche…

Il faut savoir que depuis que Prost avait raccroché après son quatrième titre fin 1993, Prost et Senna s’appelaient une fois par jour. Avant la course d’Imola, on organise un déjeuner entre le motorhome Williams et celui de Renault. Senna sort du motorhome, il croise Prost et j’assiste à un bref échange entre les deux champions : « je veux qu’on discute de la sécurité » propose Senna à Prost. Senna était effectivement très axé sur cette question. Ils se tapent dans la main, Alain monte me rejoindre dans la cabine de commentateurs TF1, Ayrton rejoint son cockpit. Fin de l’histoire. On ne l’a plus revu…

Quel souvenir effectivement… Je reçois un jour un coup de téléphone d’un antenniste… Il me dit : « vous savez que plein de gens enregistrent les dialogues TV et les dialogues hors antenne ». De notre coté, on avait reçu des ordres de Jean Claude Dassier nous disant « d’arrêter nos plaisanteries hors antenne ». Alors bien sur pendant les pubs, il y avait toute l’équipe, le réseau TF1, certains membres de motorhomes etc. Et cet antenniste avait capté tout le Grand Prix et avait même continué après la fin de la course. Il me dit : « on voit Alain quitter la cabine, on vous voit aussi, vous revenez ensuite dans la cabine et vous vous mettez à pleurer ». Et effectivement ce dénommé Brice, antenniste, m’a envoyé l’enregistrement.

Bruno Cammalleri : A l’occasion des 70 ans de la Scuderia Ferrari, vous signez avec Johnny Rives « Ferrari 70 ans de course automobile » avec la préface de Jean Alesi…

Jean-Louis Moncet : En fait il s’agit d’un mook, un magazine-book, que l’on ne retrouve pas seulement en librairie mais aussi en kiosque. Je précise que toutes ces pages là iront aux Editions Solar qui en feront un livre à la fin de l’année 2017. Le patron d’Auto Plus, de l’Auto Journal et de Sport Auto, Laurent Chiapello, voulait faire un livre sur les 70 ans de la Scuderia Ferrari avec un angle précis : celui de la course. Je n’ai pas réfléchi longtemps à sa demande et j’ai répondu : « Je le fais avec Johnny Rives ou je ne le fais pas ! ». Car Johnny Rives était l’un des journalistes préférés d’Enzo Ferrari. Et bien évidemment, si on fait les 70 ans de Ferrari, comment ne pas parler du grand Enzo ! On s’est mis au travail et on s’est répartit les tâches avec Johnny. On y parle F1, Endurance, des Mille Miles, des 24 Heures du Mans, de la Targa Florio etc. Pour revenir sur Enzo Ferrari, il faut dire qu’il avait ses têtes. C’était Louis XIV ! A la fin nous n’étions plus que trois journalistes français invités à ses conférences de presse avec José Rosinski et Johnny Rives. D’ailleurs, c’est moi qui lui ai posé la dernière question en conférence de presse officielle : « Comment allez-vous ? » lui ai-je demandé. « Très bien et je souhaite que vous soyez comme moi » répondit-il.

On retrouve plein d’anecdotes dans cet ouvrage, notamment les phrases célèbres d’Enzo Ferrari. Effectivement je parlais souvent de lui à l’antenne, en particulier sa théorie des points intermédiaires marqués à chaque Grand Prix ! J’aime cette théorie car elle sépare les artistes des guerriers. Quand ils ne peuvent pas gagner, les guerriers marquent des points intermédiaires. « Pour arriver premier d’un Grand Prix il faut d’abord arriver ! » répétait-il. Alors je le redis car c’est important. Trop de gens pensent que la course c’est de l’histoire romantique, alors qu’en course il faut gagner et faire des résultats. Et quand on me dit que je suis pro-Ferrari, je réponds que Ferrari c’est l’Histoire ! Et on est constamment en train de se référer à l’Histoire. Donc quand on parle de l’Histoire, on parle de Ferrari. Il y a bien sur McLaren et Williams, mais ces équipes sont apparues après.

Bruno Cammalleri : Quid de vos activités à Auto Plus, ainsi que votre blog ?

Jean-Louis Moncet : Auto Plus est une grande structure, un grand média avec 80 personnes. Auto Plus c’est 250 000 à 280 000 exemplaires par semaine. Dans les écoles de journalisme on souligne souvent qu’il y a les quotidiens et les hebdomadaires d’un coté, et tout le reste de l’autre. Cela est vrai ! Les hebdomadaires et les quotidiens ne s’arrêtent jamais. Chez nous, et c’est toujours bon de le rappeler, il y a des équipes qui sont sur des enquêtes pendant trois semaines voire un mois. Nous sommes le journal du propriétaire de voiture, du conducteur qui roule tous les jours. Nous sommes là pour l’aider.

Quant à mon rôle, j’espère apporter un peu de rêve en parlant de la course, des gars qui savent tenir un volant et qui ont des histoires formidables. Mercedes et Ferrari ça fait rêver. Je suis là pour ça dans mon papier hebdomadaire. Ce n’est jamais un compte-rendu mais c’est la plupart du temps pour annoncer le Grand Prix suivant. D’ailleurs, je suis très fier de mes deux derniers coups : après l’Espagne j’ai annoncé le retour de Ferrari à Monaco. Et celui de Mercedes au Canada. J’essaie de donner un peu de rêve en parlant d’Hamilton comme avant je parlais de Prost. Je suis passé de l’Auto Journal et Sport Auto, à Auto Plus et j’y suis depuis 2006. Mais j’ai commencé en 1971 !

Nos patrons avaient le souci du digital et on m’a proposé de faire un blog avec Géraldine Gaudy qui manage chaque jour 6 personnes pour le site web d’Auto Plus. Je fais avec Géraldine un entretien avant chaque Grand Prix de F1 où je donne mes impressions, et un entretien après la course où on fait un bilan.

Bruno Cammalleri : Quel regard portez-vous sur la saison 2017 de F1 ?

Jean-Louis Moncet : On a tous fait une erreur après les essais hivernaux de Barcelone. Une erreur de pérennité. On s’est dit que Ferrari serait encore championne des essais hivernaux avec de belles promesses sans suite. C’était le cas les années précédentes, mais pas cette fois. Pendant ce temps là, on avait souligné le fait que Mercedes avait beaucoup tourné. L’endurance de la monoplace de Brackley nous a impressionné. Je crois que Ferrari a enfin compris comment bien utiliser les pneus Pirelli. D’ailleurs, les deux échecs de Lewis Hamilton en ce début de saison 2017 (à savoir Russie et Monaco) sont liés à la difficulté de gestion des pneumatiques. Bottas a un style plus cool au volant qu’Hamilton qui lui est plutôt un guerrier et plus dur au volant.

Toujours est-il que l’on va vers une saison formidable grâce à ce duel Ferrari-Mercedes. Cette bataille entre les deux constructeurs historiques fait clairement du bien à la F1. On a besoin de ce duel.

Chez Ferrari, Kimi Raikkonen n’est pas numéro deux dans les termes mais il le devient dans les faits. On l’a bien vu à Monaco où Ferrari a laissé faire Vettel. Au fond d’eux-mêmes ils savent très bien chez Ferrari que le pilote qui sera le leader, le guerrier qui se battra pour le championnat c’est Vettel. Jacques Laffite répétait souvent que faire la course en tête est une autre histoire ! La course devant c’est personne pour vous envoyer de l’air chaud et des éclats, personne devant à surveiller. C’est presque un autre métier et Vettel le fait parfaitement, en particulier à Monaco. Qui pourra lui reprocher d’avoir battu Raikkonen ? Personne.

Bottas est très bon, il est jeune, mais Hamilton est d’une autre trempe, c’est un monument. Ce n’est pas une question de vitesse ni même de mise au point. Le grand enjeu est de bien connaître l’équipe. D’ailleurs, si on fait la comparaison, l’une des grandes forces de Senna quand il est arrivé chez McLaren fut de comprendre l’équipe qui était la maison de Prost. Peut être qu’Alain n’a pas été assez dur et impitoyable avec lui. Là, Bottas rentre dans la maison d’Hamilton qui est un dur à cuire. Il y a des tas de choses, de tous petits détails qui, mis bout à bout, font la différence.

Coté français, je pense qu’Esteban Ocon est ce que l’on a eu de mieux depuis longtemps. Au Grand Prix du Canada, probablement que Force India aurait pu avoir un podium avec Ocon, et finalement ils ont perdu la 4ème place au profit de Vettel. Mais dans le fond, il n’a pas de regrets à avoir. Bien au contraire : Esteban a clairement fait sa place parmi les grands et tout le monde a vu sa belle prestation. On sait ce qu’il vaut. Notamment par rapport à Sergio Perez qui est performant, régulier et qui est un pilote qui sait économiser ses pneus. Ocon sait faire la même chose. Et en plus en attaquant. Je comprends qu’Esteban voulait le podium, mais qu’importe. Seule la victoire est belle, alors… En plus, il y a un aspect que j’aime beaucoup chez ce pilote, c’est l’ascenseur social. Il vient d’une famille qui ne roule pas sur l’or, et il arrive à ce niveau là en Formule 1. Donc je lui souhaite d’aller encore plus haut. Pour des pilotes comme Prost ou Arnoux, c’était aussi l’ascenseur social avec des parents qui eux aussi ne roulaient pas sur l’or.

Bruno Cammalleri : Qu’est ce que peut apporter l’arrivée de Liberty Media à la F1 par rapport à l’ère Bernie Ecclestone ?

Jean-Louis Moncet : Pour l’instant l’arrivée de Liberty Media apporte une ouverture dans le paddock. Mais on doit beaucoup à Bernie Ecclestone car si la Formule 1 est un tel évènement aujourd’hui c’est grâce à lui. J’ai connu un Grand Prix d’Italie qui n’a pas démarré à l’heure, ce qui paraît improbable de nos jours. Bernie Ecclestone a compris que ce qui allait amener de l’argent à la F1 ce serait la télévision. Il fallait donc prévoir des courses qui partent au bon horaire. Ce qui paraît évident aujourd’hui ne l’était pas hier.

Par exemple, à l’époque où il n’y avait que trois chaînes en France, on attendait les grands évènements qui ne partaient pas à l’heure avec une animation-interlude pendant quelques minutes car il n’y avait rien de prêt… On attendait que l’évènement démarre ! Bernie a compris que cela n’était plus du tout possible. On ne peut pas mettre des millions de dollars sur un sport qui ne démarre pas à l’heure. On essaie aussi d’affaiblir le frein de l’aléa naturel en faisant rouler les voitures sous voiture de sécurité. Mais il faut rouler.

Pour moi la clé du succès de Bernie Ecclestone c’était de regrouper et professionnaliser. Regrouper en allant parler aux promoteurs de circuit de façon regroupée : « vous avez le produit F1 ou vous le n’avez pas » disait-il. Deuxième clé, il voulait séparer les amateurs des professionnels. Et dans les professionnels, il y a les pilotes, les écuries et les médias. Il proposait de regrouper tout le monde. Sauf que des voix se sont élevées pour que les médias gardent leur liberté et leur libre arbitre.

Aujourd’hui Liberty Media ouvre le paddock et fait des évènements. On en a eu une belle illustration au Grand Prix d’Espagne avec l’histoire du petit garçon : le personnel de Ferrari a réagit avec beaucoup de réactivité en voyant sur les écrans ce petit garçon pleurer à cause des difficultés de Raikkonen en piste. Ils contactent alors la FOM et on arrive rapidement à localiser cet enfant dans les tribunes pour qu’il puisse ensuite rencontrer Kimi Raikkonen. Joli coup de Liberty Media qui n’aurait jamais eu lieu à l’époque de Bernie car ce n’était pas dans les mœurs. Mais c’est dans les mœurs américaines de faire cela. On voit bien qu’aux Etats-Unis les gens sont beaucoup plus proches des pilotes. Et Liberty Media continuera d’ouvrir la F1, les stars reviennent dans le paddock et plusieurs évènements sont organisés. J’ai d’ailleurs demandé une interview de Chase Carey à Singapour. Pas maintenant, car cela ne sert à rien, il découvre la F1 pour le moment.

Très clairement, il y a plein de choses à faire. En ce qui concerne le calendrier, je suis assez sceptique sur l’augmentation du nombre de courses. Les équipes poussent pour augmenter ce nombre. Bien sur, plus il y a de courses plus elles gagnent d’argent. Sauf que, selon moi, surexposer la Formule 1 n’est pas bon car le public peut s’en lasser. Ca deviendrait la routine alors que la Formule 1 doit rester un sport évènementiel. Le Nascar, avec sa double spécificité routier/ovale, a d’ailleurs fait marche arrière là dessus. Le personnel des équipes termine les saisons avec beaucoup de fatigue à 20 Grands Prix. Idem pour les équipes de journalistes. 25 Grands Prix c’est trop, je suis pour un compromis de 18 à 20 Grands Prix. Après il faut bien comprendre que faire un calendrier c’est un art. Un grand nombre de personnes travaille sur ce sujet. Il faut en effet tenir compte des évènements politiques, des coups du sort, des évènements comme les JO ou la Coupe du Monde de foot, de tel ou tel évènement etc… l’ordinateur a un rôle important en proposant des solutions de dates en fonction des données que l’on entre. Faire un calendrier est un métier bien délicat et la F1 ne fait pas exception à cette règle. Il faudra aussi améliorer un certain nombre de détails. Je peux citer par exemple la salle de presse de Monza avec un poste pour quatre tables…

Bruno Cammalleri : Et la Formule E ?

Jean-Louis Moncet : La Formule E c’est amusant et spectaculaire parce qu’on va dans une ville avec un format d’une course sur une seule journée. J’étais d’ailleurs présent lors de la toute première course à Pekin en 2014. Il y a quand même quelque chose qui heurte beaucoup d’amateurs de course automobile, c’est le changement de voiture au milieu de la course. Mais heureusement cela n’arrivera plus à partir de la saison 5, c’est donc une très bonne nouvelle.

La ville c’est bien, Paris fait par exemple un grand effort en offrant un site s’exception à la Formule E, la course de Pékin s’est déroulée à proximité des installations olympiques, mais on est parfois loin du centre-ville comme à Berlin où j’aurais préféré Berlin-centre à l’aéroport . Les circuits en ville sont parfois très, voire trop étroits comme à Londres au Battersea Park. Alors bien sur, comme le disait Renaud Derlot, « il y avait de la place » sur l’aéroport de Berlin. En tous cas, la Formule E entre dans les mœurs, elle se développe bien. Il faut lui laisser du temps. N’oublions pas que la Formule 1 a démarré en 1950, le 13 mai exactement à Silversone. Elle a mis du temps à se construire. Il faut donc que la Formule Electrique se construise.