Pilotes payants… pilotes gênants ?

En cette fin d’année 2014, le marché des transferts bat son plein en Formule 1 et certaines équipes du paddock sont confrontées cette année encore à la crise. L’occasion pour nous de faire un focus sur une catégorie de pilotes qui se trouve au carrefour de ces deux enjeux que sont les transferts et la crise : les pilotes « payants ».

Volants à vendre ?

Oui, les « petites équipes » font appel à ces pilotes soutenus par des sponsors pour survivre en Formule 1. Et oui, les places en F1 sont de plus en plus « chères », au sens propre comme au figuré. Toujours plus de demandes avec toujours plus de jeunes issus des formules de promotion (GP2, World Series By Renault, GP3, F3 Euroseries…) et toujours aussi peu d’offres avec 22 voitures… quand toutes les écuries sont là bien sur.

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La méritocratie et le talent pur sont bien souvent balayés par les fameux « chèques » que payent les sponsors de ces pilotes dits payants. On se demande par exemple où est la logique sportive quand on voit la promotion de Marcus Ericsson de Caterham vers Sauber en 2015… Cependant, il ne s’agit pas de se livrer à un réquisitoire contre ces pilotes et ces écuries, mais simplement de discuter de ce phénomène fortement lié à la conjoncture économique, car bien sur le débat est plus complexe que la seule opposition argent VS talent.

Qui sont ces pilotes ?

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Les accidents de Pastor Maldonado…

Actuellement, l’exemple le plus marquant de pilote payant est le pilote Lotus Pastor Maldonado, qui est soutenu par la compagnie pétrolière vénézuélienne PDVSA. Malgré son titre en GP2 et sa victoire surprise au Grand Prix d’Espagne 2012, ses nombreuses sorties de route et ses résultats ne parlent pas pour lui (8 fois dans les points en 74 courses). Autres pilotes payants aux résultats peu convaincants, le mexicain Esteban Gutierrez, qui est soutenu par Telmex, Giedo Van Der Garde soutenu par Mc Gregor depuis 2007 ou encore Max Chilton. D’ailleurs, Gutierrez et Van Der Garde ont perdu leur volant chez Sauber pour 2015, le brésilien Felipe Nasr arrivant avec le soutien de Banco do Brasil

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On pourrait également citer d’autres pilotes payants abonnés du fond de grille comme le furent Bruno Senna (et ses sponsors Gillette et Embratel), Narain Karthikeyan (soutenu par Tata), Karun Chandhok et Sakhon Yamamoto, sans oublier des exemples fameux devenus quasiment « collectors » comme le malaysien de Minardi Alex Yoong ou Ricardo Rosset.

L’argent, nerf de la guerre…

La crise économique explique ce retour en force des pilotes payants, avec des écuries en difficulté qui rencontrent un pilote aux généreux sponsors. Mais forcément le bonheur des uns fait le malheur des autres : on peut noter un déplacement du centre de gravité dans la hiérarchie des pilotes que l’on peut assimiler à un déplacement de la frontière entre ceux qui sont « assurés » (ou presque) de leur place et les autres. La frontière F1-formules de promotion était plus nette dans le passé ; elle se trouve plus poreuse aujourd’hui avec des jeunes qui veulent accéder à la F1 de plus en plus tôt et souvent soutenus par des sponsors : désormais il y a les stars (comme Alonso, Vettel ou Hamilton) et les autres (milieu de tableau, arrière du peloton + GP2). Seules ces stars apparaissent comme étant « indiscutables ». Vu le poids des pilotes payants et le contexte actuel, certains anciens ont du céder leur place, à l’image de Jarno Trulli, Rubens Barrichello, Giancarlo Fisichella, Heikki Kovalainen ou encore Timo Glock.

A la fin de la saison 2013, lorsqu’il était menacé pour sa survie en Formule 1, Felipe Massa déclarait :

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Felipe Massa

« Ces scénarios de pilotes payants sont une grande inquiétude pour la Formule 1, c’est dommage de penser qu’un jeune pilote ayant le talent et les habiletés pour être en F1, et peut-être même pour devenir champion du monde, n’aura pas la chance de courir. Ou qu’un pilote déjà en F1 risque de perdre sa place au profit d’un autre pilote moins talentueux mais ayant de l’argent. Cela fait déjà un bout de temps que c’est ainsi. »

En Février 2013, Martin Whitmarsh alors patron de l’équipe Mclaren déclarait :« Je pense que c’est triste d’avoir autant de pilotes payants en Formule 1. Leur nombre n’a cessé de croître. Je sais bien que c’est bon et enthousiasmant pour ceux qui sont choisis mais nous sommes en droit d’attendre, dans la plus prestigieuse des disciplines des sports mécaniques, à ne pas avoir de pilotes payants. Car cela veut dire qu’il y a de bons jeunes pilotes professionnels à qui on ne donne pas leur chance et qui n’accèdent pas à la F1 ». Whitmarsh appelait à « valoriser le talent d’un jeune pilote, et à penser au potentiel du pilote pour le futur » , et pointait du doigt « les formules de promotion engorgées avec certains pilotes qui restent y trop d’années ».

La F1 en débat

Fernando Alonso avec la Renault en 2003
Fernando Alonso avec la Renault en 2003

Si les pilotes « payants » sont souvent critiqués, le phénomène n’est pas nouveau. En effet, la pratique ne date pas d’aujourd’hui, et il ne faut pas oublier que le sport automobile n’est pas accessible à tous et encore moins la catégorie reine. Les imbrications entre la Formule 1, le marketing et le sponsoring sont bel et bien nombreuses. N’est-ce pas Telefonica qui a aidé Fernando Alonso au début de sa carrière chez Minardi puis Renault, n’est-ce pas un certain Michael Schumacher qui a du payer pour ses premières courses ?

Les petites écuries ont quant à elles plus que jamais besoin de cette manne financière pour survivre. Bien plus encore, c’est un débat plus global qu’il convient de mener sur la Formule 1. Elle doit s’interroger sur son modèle économique qui ne fonctionne plus. Les cas de Caterham, de Marussia, de HRT, les difficultés de Sauber, Lotus, Force India, la baisse des audiences télé, ou encore la présence de Pastor Maldonado et d’autres pilotes payants en F1 sont autant de signaux qui appellent à une remise en cause de son modèle économique. Au-delà des répercussions sur l’image et le standing de la discipline, c’est de sa pérennité dont il s’agit.