Jenson Button se raconte dans Une vie à la limite

« Il n’y a rien de comparable en matière d’émotions ressenties sur le vif que de gagner le championnat du monde. Ce que l’on ressent principalement, c’est du soulagement. Vous venez d’achever l’effort le plus long et le plus dur de votre vie. Même maintenant, de nombreuses années plus tard, je peux me réveiller le matin et me dire Je suis champion du monde, et ça me donne le sourire. »

C’était il y a 9 ans, au Grand Prix du Brésil 2009. Jenson Button rentrait dans le panthéon de la Formule 1 en remportant le titre pilotes devant Sebastian Vettel et Rubens Barrichello. L’occasion pour sportsmarketing.fr de revenir sur la singulière trajectoire d’un pilote tout aussi singulier dont l’autobiographie intitulée « Une vie à la limite » est sortie en France cette année (juin 2018) chez Talent Sport.

« Une vie à la limite » retrace cette trajectoire de Jenson Button et revient évidemment sur les temps forts de sa carrière. Pourtant battu par ses premiers équipiers lors de ses deux premières saisons en Formule 1 (Ralf Schumacher chez Williams en 2000 et Giancarlo Fisichella chez Benetton en 2001, que Button nomment respectivement dans le livre « Ralf » et « Fisi »), puis éjecté de Renault après la saison 2002 au profit de Fernando Alonso, Jenson Button sait rebondir en 2003 chez BAR-Honda, avant de connaître en 2004 son premier podium (Malaisie) et sa première pole position (Imola). La suite ne sera que plus glorieuse : la victoire au Grand Prix de Hongrie 2006 et le titre mondial en 2009, avant de rejoindre la prestigieuse écurie McLaren pour un titre de vice-champion du monde 2011 et quelques succès mémorables obtenus sous la pluie comme le Grand Prix d’Australie 2010 ou celui du Canada en 2011.

Des victoires aussi belles qu’inattendues qui ont façonné au fil du temps (ou plutôt, devrais-je dire, au fil de l’eau… pour la pluie…) l’image d’un pilote, longtemps considéré comme éternel espoir et « playboy fainéant » (dixit Flavio Briatore). Celui que la presse surnommé à ses débuts « le golden boy de la F1 » ou encore « le pilote le plus excitant depuis Senna » est non seulement devenu champion du monde, mais surtout fin stratège. Button a su imprimer sa marque et son style de pilotage, comme le résument ces quelques lignes pages 12 et 228 :

« Je ne suis pas très bon dans le contexte de meilleur temps au tour des qualifications. Alignez-moi sur une course n’importe quel jour de la semaine. Quatre-vingt-dix minutes de planification, de stratégie et de concentration, voilà ce que j’aime (…) Je suis bien meilleur en situation de course quand il faut réagir sur le champ et s’adapter tout au long de la course. Selon moi c’est ma force : économiser du carburant, avoir trois trains de pneus prêts et déterminer quelle sera l’allure à adopter pour aller le plus vite possible du premier tour jusqu’au premier arrêt aux stands, plutôt que d’y aller à fond dès le premier tour. »

Mais pour en arriver là il aura fallu passer par bien des étapes qui sont racontées avec talent dans l’autobiographie, comme son violent crash aux qualifications du Grand Prix de Monaco en 2003 et bien sûr l’accession à la F1 : karting, Formule Ford en Grande Bretagne, Formule 3, et la découverte du pilotage d’une Formule 1 lors du test d’une McLaren à Silverstone en 1999.

« Une vie à la limite » détaille ces moments, à la fois improbables et tellement désirés, qui font basculer une carrière : le test proposé par Alain Prost sur le circuit de Barcelone en décembre 1999, alors que Jenson Button se trouve en vacances à Cancun, fait partie de ces instants décisifs. L’occasion pour « JB » de souligner son admiration pour Alain Prost « le professeur en personne, calme, très détendu et cérébral.» Un autre de ces coups de fils déterminants, et encore plus improbable selon les mots du champion anglais, celui d’un certain Franck Williams alors que « Jenson fêtait Noël dans un pub à l’ancienne au sol poisseux à Frome » pour un test aux allures de duel avec le champion de F3000 sortant Bruno Junqueira. Une place en F1 était bel et bien en jeu. « JB » sera finalement deux dixièmes plus rapide que « BJ », ce qui n’est pas beaucoup : « une quantité négligeable mais plus rapide et c’est ça qui compte. »  Voilà comment Jenson Button est devenu pilote de Formule 1 en 2000. Du rêve à la réalité en quelques secondes quand, le jour de l’annonce de titularisation dans le bureau de Frank Williams, Button voit arriver son futur équipier Ralf Schumacher « qui faisait une tête de diva pour avoir une voiture qui l’attende à l’hôtel le lendemain pour se rendre aux essais privés.»

Outre « Ralf », l’analyse de ses différents coéquipiers revient à plusieurs reprises dans le livre. Voilà qui ne surprendra personne tant on connaît l’obsession (certes normale) qu’ont les pilotes à vouloir battre leur coéquipier, censé disposer d’un matériel équivalent et donc comparable. Surtout que Jenson Button aura connu des voisins de garage quelque peu encombrants. On comprend alors sa satisfaction, énoncée et répétée, d’avoir battu Lewis Hamilton en 2011 et Fernando Alonso en 2015. Ce fut même à l’origine de son transfert vers McLaren en 2010, justement pour pouvoir croiser le fer avec Hamilton : « La rumeur avait fuité et un tas de gars qui bossaient dans le paddock n’en croyaient pas leurs oreilles. Moi le champion du monde, je quittais les champions du monde pour aller me frotter à un champion du monde » peut-on lire page 324.

Jenson Button le stratège de la course devenait aussi stratège en carrière et en acquisition d’une voiture « qui allait être tout de suite compétitive » avec la McLaren. Un an après le choix de refuser un volant Toro Rosso pour rester au sein de la structure Honda devenue Brawn. Le champion britannique qui cultive son image « smart » fait preuve de pédagogie, dans différentes séquences, tout au long du livre. Il explique par exemple, avec détails, ce que sont les bouchons d’oreille que mettent les pilotes de F1 ou le harnais de sécurité (page 14), l’aileron d’une F1 (page 125), le planning d’un pilote (page 169) ou encore les réglages d’une monoplace (page 202). Qui de mieux qu’un champion du monde de Formule 1, auteur de 17 saisons dans la discipline, pour l’expliquer et livrer quelques anecdotes cocasses : on apprend par exemple qu’il sauva son compatriote David Coulthard « d’une situation ridicule » (à découvrir page 169…) ou qu’il vit une scène gênante la veille du Grand Prix d’Australie 2009 lors d’un dîner avec un Richard Branson « bourré ». Etre une star des paddocks c’est aussi côtoyer les autres « personnages » de la Formule 1 comme Frank Williams et Patrick Head « qui ont toujours été francs et qui n’enrobaient jamais la vérité dans du sucre » ou Flavio Briatore « un personnage haut en couleur. »

Les mots de l’ex boss de Benetton qui déclarait en 2001 que Button était un « playboy fainéant » ont froissé le britannique qui avoue avoir été déstabilisé par l’attitude de Briatore. A tel point que le chapitre 33 de l’autobiographie est consacré à cette querelle entre les deux hommes. D’ailleurs être un pilote smart ne signifie pas que l’on ne sait pas tacler quand il le faut : Kimi Raikkonen (page 12), « Ralf » (pages 159 et 160), les paparazzi (page 186), la Benetton de 2001 (page 193), Jacques Villeneuve (page 210) et le fait de donner des consignes d’équipe (qu’il trouve « véritablement honteux » – page 211) en prennent eux aussi pour leur grade.

Mais un gentleman reste un gentleman. Un gentleman driver et un gentleman tout court. L’attachement à ses proches et à « la team Button » est récurrent dans le livre, en particulier pour « Mikey, son kiné » et bien évidemment pour son père John à qui il dédie cette autobiographie. Sans oublier 4 pages de remerciements, à la fin, intégralement consacrées à son entourage.

Jenson Button, Une vie à la limite / Autobiographie / Talent Sport / 2018 / 430 pages / 21.90 euros